retour à la table des matières

Le développement historique et le fonctionnement de l'industrie de la chanson québécoise

Quatrième partie
Crises économiques, crises culturelles, réorganisations et projections de l'industrie de la chanson (1975-1995)

Chapitre 5

Chanson québécoise, chanson francophone: le double miroir de nos stratégies à'étranger

    Le manque de nouvelles scènes et de nouvelles audiences pour les créatrices et créateurs de chansons est au coeur des préoccupations des échanges culturels entre pays francophones. L'origine de différents festivals comme le Festival d'été de Québec, les Francofolies de Montréal jumelées à La Rochelle, etc. vient du courant salutaire du double miroir: mieux apprécier nos propres artistes par le regard des autres et vice-versa. Les contacts à l'étranger font partie du travail de promotion quotidien de nos entreprises de disques et de spectacles. Ces contacts s'articulent soit à l'intérieur de rencontres dans un marché ouvert comme le MIDEM de Cannes, soit par des communications directes et des voyages fréquents auprès des responsables des médias, des compagnies de disques et des producteurs des scènes et festivals qui conviennent aux créneaux touchés par les artistes.

    Voyons un peu la situation en France, par exemple. Les difficultés subtiles de la promotion viennent des relations pratiquement schizophrènes entre le secteur de la production de disques et le secteur des médias. Depuis la fin des années 60, le marché du disque français se trouve saturé par la présence des multinationales européennes et américaines. Le palmarès du Top 50 est d'ailleurs perçu comme une violence constante aux artistes de la chanson française et francophone. Les programmes de développement culturel aux mains de l'Etat soutiennent difficilement des entreprises indépendantes toujours actives mais trop petites. Les investissements notables des majors dans la production francophone ont des effets pervers car ils ne permettent pas la présence de maisons de disques françaises sur le modèle des PME québécoises de la musique.

    La présence de scènes régionales culturellement très dynamiques a attiré les producteurs québécois, malgré l'envahissement anglo-saxon des ondes FM françaises. La télé française des variétés souffre d'inanition chronique en refusant de payer des musiciens pour jouer en studio: à ce niveau, les artistes et producteurs français ont été impressionnés par nos façons de faire. A Paris, le secteur des indépendants regroupe des artistes de plusieurs cultures présentes par l'immigration. Pas toutes francophones, elles témoignent cependant d'un métissage musical accéléré et passionnant. Des jeunes artistes y prennent un bain lors de voyages d'échanges parrainés par l'Office Franco-Québécois pour la Jeunesse.

    Les producteurs et les artistes québécois, de plus en plus au courant de ces tendances françaises, développent des alliances intéressantes de distribution profitables aux deux parties. Certains comme Guy Cloutier se soucient constamment des tendances du Top 50 et s'en servent pour produire les disques de leurs artistes en France. D'autres préfèrent s'impliquer dans des co- productions France-Québec: spectacles et spéciaux télédiffusés. D'autres encore préfèrent les événements lors des lancements de disques, les tournées systématiques des radios, l'organisation de spectacles conjoints intégrés à des festivals. Certains artistes, producteurs autonomes, choisissent les stages de création sur des projets communs. Il est essentiel de parler de l'influence des rencontres RadioActivité, qui ont lieu depuis 1985 entre des professionnels français, belges et québécois des industries du disque et de la radio. Organisées à l'initiative des Québécois éditeurs du magazine et palmarès RadioActivité, ces rencontres permettent d'aborder tous les points chauds des affaires dans le secteur culturel. Il est d'ailleurs question depuis 1990 de monter une association internationale de producteurs indépendants québécois, belges et français.

CONCLUSION

    Encore aujourd'hui, tout bouge dans la chanson québécoise. Les salles de spectacles, regroupées sous l'organisme RIDEAU, se demandent comment réanimer leur public abattu entre autres par la récession. Le public des chansons semble refuser de plus en plus les intermédiaires qui choisissent à sa place les chansons et musiques qu'il veut entendre. La présence des radios et télévisions comunautaires, où s'impliquent de plus fortes portions de ce public, pourrait encore renverser la vapeur en trouvant de nouveaux lieux de production et de diffusion. Chose certaine, la chanson comme ciment culturel ne peut se constituer qu'avec une complicité active de tous ces agents: artistes, producteurs, diffuseurs et public. Et celui-ci n'a pas dit son dernier mot.

    Notre identité culturelle est faite de toutes ces couches de chansons, amoureusement étalées, imposées, digérées, recréées, surimposées et encore intégrées ... à cause d'elles, nous savons que nous nous sommes conçu-e-s d'abord Françaises et Français, dans le naturel, puis dans l'adversité, puis dans l'avarice protectrice. Avec les courants modernes nous avons développé une conscience insouciante, puis malheureuse, de Franco-Américain-e-s qui nous colle tellement bien à la peau. à l'heure actuelle, nous avons les moyens de nous enrichir plus que jamais de notre courtepointe culturelle, écartillée entre les héritages français, anglais, acadien, américain, autochtone et qui sait, africain ou vietnamien vers l'an 2000. J'en veux pour preuve l'écoute de plusieurs enregistrements récents qui intègrent avec brio et originalité différents héritages culturels aux références d'un quotidien profondément québécois, au-delà des clichés et des convenances. Parmi la nouvelle génération d'artistes prometteurs de ce côté, citons le groupe Rudeluck (mené par le Québécois d'origine antillaise Luck Mervil) et Marie-Jo Thério , auteure-compositeure-interprète qui chante en «chiac» ses blues sur Moncton. Enfin, je m'en voudrais de passer sous silence le travail de Karen Young , chanteuse versatile, auteure-compositeure et arrangeure audacieuse prête à embrasser, selon ses dires, «tous les folklores et toutes les paroles signifiantes en chanson populaire». Ce qui nous donne espoir. Tant que le Québec produira des chansons, diverses chansons, nous aurons les moyens de mieux nous comprendre et de construire notre identité autrement qu'en cartes postales...

* Tout extrait de ce texte peut être utilisé; veillez simplement à mentionner la source. *
Danielle Tremblay

FIN

Début


Contactez-nous
Édité le 16 décembre 1995