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Petit essai de typologie de la chanson populaire québécoise contemporaine des années 1950 à nos jours

par
Danielle Tremblay
belcanto@microtec.net

Table des matières
Introduction
1: Courant folk québécois2: Courant du rock québécois3: Courant pop synthétique québécois
1.1: Branche des chansonniers
1.2: Branche pluriethnique
1.3: Branche country/western
1.4: Branche folk rock
2.1: Branche des musiques noires
2.2: Branche des "poètes rock"
2.3: Branche de la musique progressive
2.4: Branche multiethnique récente
3.1: Synthèse de la ballade pop
3.2: Synthèse de la danse pop
3.3: Synthèse des chansonnières pop
3.4: Synthèse du pop rock
Message de clôture

Je m'inspire ici entre autres de ma lecture du rigoureux et imaginatif tableau «généalogique» des Racines et développements de la musique populaire québécoise par les auteurs Richard Baillargeon et Christian Côté (tiré de leur ouvrage Destination Ragou-Une histoire de la musique populaire au Québec, 1991, Éd. Triptyque). Cette réflexion personnelle, que j'espère aussi stimulante pour vous que pour moi, envisage l'hypothèse de courants thématiques à la fois littéraires et musicaux qui ont alimenté ce phénomène culturel, social et esthétique qu'est la chanson québécoise moderne. Une autre de mes références est l'«Essai de typologie de la chanson populaire» (en général) par Jacques Julien dans le recueil Les aires de la chanson québécoise aux Éditions Triptyque.

Vous, lecteurs et lectrices, êtes libres de commenter ce texte comme bon vous semble. Ceci reste un exercice ouvert à la sensibilité et au jugement des personnes en cause. Beaucoup d'artistes peuvent être identifiés à plusieurs courants à la fois de par la diversité de leur production parolière et musicale.

1: Courant folk québécois

Ce courant comprend quatre branches qui se sont stimulées mutuellement pour construire un répertoire québécois de chansons alliant les traces de la tradition et de la modernité.

1.1: Branche des chansonniers

Née dans le passage de la société québécoise vers l'urbanisation, consolidée par le travail d'artistes populaires originaux comme La Bolduc, cette branche s'est plus largement développée dans la période qu'on considère comme le bassin des enfants de la Révolution Tranquille: des années d'après-guerre jusqu'au milieu des années 70.

Les chansonniers à l'intérieur du folk québécois tentent de négocier, d'une génération à l'autre, une difficile quête d'identité entre les traditions populaires, qu'ils assument plus ou moins, et la recherche de nouveaux horizons intellectuels et culturels ainsi que la saisie de nouveaux enjeux sociaux. Les préoccupations de ces artistes témoignent d'un univers où l'instruction est très présente. Ce sont des autodidactes ou des gens plus scolarisés que la moyenne: on pourrait parler d'une sorte d'«élite» des femmes et des hommes auteurs-compositeurs-interprètes.

Cette branche des chansonniers embrasse tous les auteurs-compositeurs-interprètes inspirés à divers degrés par des traditions musicales et culturelles liées au folklore québécois. En voici plusieurs exemples avec de brèves illustrations de leur travail.

1.2: Branche pluriethnique

Cette branche réunit des musiciens-interprètes et des auteurs-compositeurs-interprètes qui ont intégré aux racines musicales québécoises et nord-américaines d'autres façons de faire de la musique, venant de cultures différentes. Cette tendance pluri-ethnique est née, d'une part, de la Révolution Tranquille et du climat de «melting-pot» créé par le «rock and roll» et, d'autre part, de l'apport culturel des différentes vagues d'immigration européenne, latino-américaine, antillaise et africaine au Québec. Voici quelques exemples de musiciens et d'auteurs-compositeurs touchés par ce mouvement dans l'écriture de leurs chansons:

1.3: Branche country/western

On croirait que cette musique n'a plus besoin de présentation. N'étant pas une spécialiste du domaine, je me contenterai de vous dire que la musique originale country/western est en elle-même un amalgame de plusieurs traditions rurales et urbaines aux États-Unis. Les Québécoises et Québécois s'adonnent au genre au moins depuis les années 40 et les musiciens ont eu fort à faire pour adapter ces formes de chansons à nos préoccupations les plus populaires. D'abord ils les ont amalgamées aux thèmes et aux patrons mélodiques et rythmiques de notre folklore; plus tard ils les ont adaptées aux patrons de la musique pop et rock - danses et ballades - c'est d'ailleurs ainsi que s'est façonné le country nord-américain moderne au sens large. Pour les amateurs du genre, souvent divisés sur la question, le côté «western» se chante plus volontiers en français que le côté «country». Cependant plusieurs tentatives heureuses ont été faites pour «franciser» et même pour «québéciser» le langage et le climat des chansons country/western et cela se poursuit dans les années 90. Vous pouvez écouter les pionniers du country/western québécois: Soldat Lebrun, Willie Lamothe, Marcel Martel et autres sur la cassette accompagnant l'ouvrage Destination Ragou de R. Baillargeon et C. Côté (Éd. Triptyque).

1.4: Branche folk rock

Les Beatles ont été Le Groupe catalyseur d'une grande fusion entre plusieurs traditions musicales- musiques «folk», musique savante, etc.- et le rock- lui-même une synthèse révolutionnaire entre les musiques populaires blanche et noire aux États-Unis. Ce que j'appelle la branche folk rock est le résultat de cet esprit de synthèse populaire, grandement influencé par les Beatles, chez plusieurs artistes- et surtout des groupes d'artistes- de chez nous. Nos meilleurs groupes québécois témoignent de brillants mélanges culturels du type «folk» qui vibrent cependant au «beat» du rock. Souvent cela donne lieu à des artistes qui maîtrisent tantôt la sensibilité «folk», tantôt l'énergie «rock» sur le même album.

En voici des cas exemplaires:

Avec croisements pluriethniques (latins, afro-américains):

2: Courant du rock québécois

À partir des emprunts des années 60 jusqu'à l'éclatement culturel et social des années 70, plusieurs musiciens et groupes ont assimilé complètement le "beat" et la jeune culture du rock pour tenter de les "convertir" à l'imaginaire du fait français québécois. Le rock québécois comprend à mon avis quatre branches qui se situent entre le divertissement et les exigences d'expression personnelle et politique qui ont surgi lorsque la conjoncture était favorable.

2.1: Branche des musiques noires

Nos artistes rock les plus marquants ont réussi à traduire et même à intégrer les nouvelles structures et les sensibilités des musiques noires qui se trouvent à la source du rock'n'roll: le blues, le rythm'n'blues, le gospel et même plusieurs formes du jazz. L'intégration de ces tendances correspondait à un besoin, pas toujours bien défini, de faire éclater les cadres établis de l'éducation, de la formation et de la langue écrite "consacrée". Inutile de dire qu'elle est surtout portée par les "enfants terribles" de la Révolution Tranquille et surtout du mouvement "Ti-pop": Robert Charlebois et compagnie. Les plus jeunes générations ont vaillamment repris le flambeau.

Quelques exemples frappants:

Robert Charlebois: les pièces "Egg generation", "California" et "Engagement". Une syntaxe musicale anarchique, francophone et québécoise, mâtinée de blues et de jazz!

Diane Dufresne et cie: "La chanteuse straight" (modèle du genre) et toutes les pièces de l'album pop psychédélique À part de d'ça/J'me sens ben (1972): "Rock pour un gars de bécyk'" et bien d'autres.

Offenbach: des classiques instantanés comme "Câline de blues" et "Je chante comme un coyote", où les accents franco-québécois inimitables de Gerry Boulet résonnent à l'intérieur de mélodies proprement "gospel".

Lucien Francoeur et le groupe Aut'Chose: "Beau bummage" et "Le P'tit Gros". Francoeur a inventé une variété particulièrement poétique de rap québécois!

Stephen "Cassonnade" Faulkner: le merveilleux blues "Pleine lune" composé avec Plume Latraverse, et plusieurs autres comme "Punch O'Clock rock" et "Mon p'tit bonhomme de chemin".

Plume Latraverse: "Les pauvres", monument de blues voué aux petites gens du Québec, et de nombreuses autres pièces.

Michel Pagliaro: "Louise", "Si tu voulais" et plusieurs autres classiques de cet auteur-compositeur-prolifique inspiré par des géants du rythm'n'blues comme Ray Charles.

Ville Émard Blues Band: une pièce fétiche de cet ensemble multidisciplinaire: "Ville Émard Blues".

Corbeau: "Cash moé", une des meilleures chansons de l'époque Pierre Harel et "Fou", une des meilleures chansons de l'époque Marjo (les deux principaux auteurs-compositeurs-interprètes).

Nanette Workman: l'interprète par excellence des racines obscures du blues et du rock vocal: de sa première chanson connue "Call-girl", écrite par Luc Plamondon, à la récente "B-L-U-E-S" sur l'album Une à une.

France D'Amour: "Vivante" sur l'album Déchaînée: une solide chanson de cette jeune auteure-compositeure injectée d'énergie rock et d'émotion blues.

Toyo/McGale: "Les Casques Blues". Un blues drôle et grinçant décrivant la réalité des guerres d'aujourd'hui et de leurs "entremetteurs forcés": les Casques Bleus canadiens. Le duo de musiciens se compose du chanteur et auteur-compositeur Toyo et du guitariste et auteur-compositeur John McGale (ex-Offenbach).

2.2: Branche des "poètes rock"

Le goût profond du texte et la sensibilité musicale des "poètes rock" les rapprochent des "chansonniers" mais ils y fondent des éléments rock beaucoup plus évidents.

Jean-Pierre Ferland sur Jaune: cet album est une incursion marquante du chansonnier dans l'univers du pop et du rock psychédélique avec les pièces "God is an American" et "Sing Sing", entre autres petits bijoux de fusion musicale.

Robert Charlebois: "La marche du Président", sur les paroles de Gilles Vigneault, est un exemple brillant de complicité poétique et musicale entre la veine du rock et celle de la chanson contemporaine.

Claude Dubois: cet autodidacte mêle la culture poétique et la culture iconoclaste du rock: écoutez la chanson "Bébé Jajou la Toune" pour en saisir le verbe malicieux.

Louise Portal: cette comédienne, auteure et chanteuse investit des textes poétiques et dramatiques qu'elle sert à la sauce rock'n'roll sous différentes incarnations: "Le Beau Matou", "Nicotine et nuit blanche" ou "Histoire infâme (des femmes)".

Marjo: une autre artiste qui s'attache autant aux évocations des mots qu'aux cris et soupirs du rock: écoutez les chansons "Impoésie" et "Trop d'amour" parmi ses meilleures.

Plume: plusieurs petits chefs-d'oeuvre oscillant entre la chansonnette philosophique et le rock: prêtez une attention particulière à la chanson "Les Humains" sur l'album Métamorphoses.

Offenbach: une mise en scène musicale rock et gospel pour les mots du poète Gilbert Langevin: "La voix que j'ai" connue pour sa première phrase: "Cette voix brisée par l'alcool, la cigarette et les nuits folles...".

Aut'Chose/Lucien Francoeur: une adaptation musicale électrique de "Comme à la radio" sur les mots de la Française Brigitte Fontaine et une composition musclée au montage inspiré des Doors et des sagas amérindiennes: "Hollywood en plywood" sur l'album Le cauchemar américain.

Geneviève Letarte: "Le rock du Québec" et "What kind of a girl". Deux pièces majeures expérimentant de nouvelles relations entre des textes à l'ironie très personnelle et des musiques rock et funk éclatées. Tout cela sur l'album Vous seriez un ange.

Abbittibbi et Richard Desjardins: "Les Yankees". Une chanson poétique et progressive découpée en plusieurs "séquences" avec des climats tantôt folk, tantôt rock, toujours changeants en concert. Écoutez la version de l'album Abbittibbi Live!

2.3: Branche de la musique progressive

Les autres branches du rock se doublent ici d'une approche de plus en plus savante, infusée des autres cultures musicales classiques et contemporaines. Les musiciens des groupes "progressifs" démontrent une formation plus poussée que la moyenne. Ils portent parfois des perspectives avant-gardistes ou radicales sur la musique et sur le rôle social des musiciens et de leurs créations. Voici quelques cas exemplaires.

Garolou: "Germaine". Un réaménagement complet de ce vieux folklore avec des incursions de musiques ancienne, classique et rock. Sans doute leur pièce maîtresse.

Harmonium et cie: tout l'album L'Heptade pour ses climats musicaux sophistiqués - savants et pop - et le délire philosophique un peu obscur de ses textes. Meilleures pièces: "L'Exil", "Chanson noire" et "Lumière de vie".

Octobre: des pièces au contrepoint musical élaboré sur des textes réfléchis comme "L'Oiseau rouge", "Insurrection" et "Le Chant du souterrain".

Morse Code: des pièces ambitieuses inspirées des éléments du "rock progressif" (synthétiseurs, recherches rythmiques) d'Angleterre et des États-Unis. Écoutez "Qu'est-ce que t'as compris?" et "La marche des hommes".

Sloche: une autre synthèse complexe du rock, du classique et du jazz entre autres langages. Écoutez l'album Stadaconé ("Québec" en langue amérindienne).

Conventum: le plus avant-gardiste de ces groupes quant aux genres musicaux explorés, au jeu des instruments et au contenu politiquement critique des textes mis en musique. Écoutez la pièce "Les Criticotteuses" sur l'album À l'affût d'un complot. Lisez aussi dans ce site l'essai web de François Tremblay: La chanson actuelle francophone depuis les années 1970 pour en savoir plus long sur Conventum et les artistes qui s'y sont formés.

2.4: Branche multiethnique récente

Un retour aux multiples sources "ethniques" à l'intérieur du rock influencé par le "worldbeat" des quatre continents. Ce filon du "worldbeat"a toujours existé au sein du milieu musical mais il prend plus de force dans les années 1980-1990 à cause de trois éléments inter-reliés:

  1. l'exposition médiatique sans précédent de diverses cultures artistiques, anciennes et nouvelles, locales, régionales et nationales;

  2. une multiplication et une plus grande accessibilité des outils technologiques qui servent à produire, enregistrer et diffuser la musique;

  3. l'apparition de phénomènes musicaux comme le "hip-hop" et le "rap" des Noirs américains, influencés par les deux premières causes. On y remarque aussi la récupération populaire des recherches électroniques et électro-acoustiques de certains musiciens des générations précédentes.

Les Colocs: "Passe-moé la puck". Rap, rythm'n'blues et reel québécois unis dans une même structure de chanson.

"Je chante comme une casserole". Très belle parodie en forme de salsa.

French B: "Monsieur l'Indien". Reprise de la chanson-poème de Claude Péloquin dans un climat heavy d'électro-rock qui reproduit des percussions amérindiennes et un sifflet de train.

"Je m'en souviens". Un montage thématique et musical électronique (l'un des premiers au Québec) dans la veine du hip-hop afro-américain et de certaines recherches plus obscures.

Me, Mom and Morgentaler: "Héloïse". Un mélange détonnant de rock (punk) et de salsa pour une chanson d'amour désenchantée.

"Anarchie". Un petit swing mêlé d'accordéon cajun pour soutenir une chanteuse à l'esprit bohème.

Jean Leloup et La Sale Affaire: "Isabelle" et "Alger" jouissent respectivement d'éléments sud-américains et nord-africains dans le choix des instruments et des arrangements.

Zébulon: "Venezuela". Une drôlerie quelque peu exotique mêlant une base rock et des harmonies de jazz latin.

Rudy Caya: "Les grandes gueules". Un bel hybride de rock, calypso et cha-cha où se pressent les mots furieux et la voix enfumée de l'auteur-compositeur-interprète.

Rudeluck: "Parlez-moi d'amour". Du "funk français" de belle facture écrit sur un tapis rythmique souple et une mélodie assez coulante pour enrober des mots aux images percutantes. Ce groupe reprend au Québec l'héritage de Boule Noire (George Thurston).

Claude (Marie-Claude) de Chevigny: "Maria Ouellette". Une jouissante recette où se marient les rythmes du funk, les harmonies du jazz latin et des éléments mélodiques arabes dans le chant exubérant de l'artiste. Le texte, plutôt joyeux, fouille les sonorités du nom d'un personnage très libre: "Maria Ouellette".

Les Pois z'ont rouges: "Le bal des baleines". Une valse mignonne et faussement nostalgique, remarquable par son échantillonnage sonore et ses incursions de piano, de guitare et de chant un peu désaxées.

Les Frères à Ch'val: "Pagan'yen amoueu'eux". De la poésie française (un texte d'Aragon) enfilée sur des rythmes reggae un peu lourds enjolivés de passages de mandoline et de violon.

3: Courant pop synthétique québécois

Quatre grandes synthèses ou quatre grands compromis entre les divers courants pilotés par les artistes et les diverses exigences et normes de l'industrie du disque et du spectacle québécois depuis la fin des années 60.

3.1: Synthèse de la ballade pop

La ballade est un genre-caméléon où se fondent les romances populaires françaises, la chanson poétique française et québécoise, l'influence du country/western et celle des musiques populaires noires. La ballade porte les multiples expressions de la chanson d'amour: cependant ses thèmes et ses textes varient plus qu'on le croit selon les époques et selon les perspectives sociales, de sexe et de personnalité qui influencent auteurs, compositeurs et interprètes.

Jean-Pierre Ferland: "Marie-Claire", "T'es mon amour, t'es ma maîtresse" et "Écoute pas ça" représentent trois "époques" de l'ineffable Ferland. Ce grand Baladin de la chanson poétique mange à tous les râteliers, c'est-à-dire à tous les styles de la ballade, pour les plier à son langage de troubadour urbain toujours en évolution.

Starmania: "Le blues du businessman". "Le monde est stone". "Les uns contre les autres". Quelques-unes des réussites du style populaire franco-américain inimitable créé par Luc Plamondon et Michel Berger, dans l'opéra-pop le plus marquant de la culture québécoise et francophone contemporaine.

Renée Claude: "C'est le début d'un temps nouveau." Cette composition de Stéphane Venne chantée pour la premièrefois par Renée Claude en 1969 et enregistrée en 1970 sur disque 45-tours, a marqué la carrière polyvalente de Renée Claude. Celle-ci réussit admirablement comme interprète à jeter un pont entre les chansonniers et la musique des variétés.

Ginette Ravel: "Marie s'éveille". Cette adaptation de la chanson "Mary in the morning" est un bel exemple de version française d'une ballade anglo-saxonne du courant pop "flower power". Ginette Ravel s'est aussi fait connaître en interprétant une pièce majeure de l'auteure-compositeure française Barbara: "Dis, quand reviendras-tu?".

Diane Juster: "Je ne suis qu'une chanson". Un sommet d'écriture de cette auteure-compositeure-interprète complète inspirée, elle aussi, par la grande Barbara. Les ballades semi-classiques de Diane Juster, avec leurs arrangements raffinés (quelque peu mélo), leurs mélodies hypnotiques et leurs textes intimistes, ont tenté beaucoup d'interprètes dont Ginette Reno n'est pas la moindre.

Ginette Reno: grande interprète de Diane Juster, Luc Plamondon, Jean-Pierre Ferland, Eddy Marnay et bien d'autres. Deux pièces révèlent les différents pôles de cette chanteuse puissante qui s'est spécialisée dans la ballade (bien qu'elle touche à d'autres genres avec bonheur).

"Des croissants de soleil". Un beau "jitterbug" en français, gaillard et insouciant. Une récupération du contexte libertaire des années 70.

"Galaxies". Une mélodie incomparable, mûrie dans la "soul" américaine et dans le classicisme français, qui porte un texte poignant sur la quête personnelle de toute une vie. Composition de Luc Plamondon et Romano Musumarra (1995).

Renée Martel: "Je vais à Londres". Un pur produit de notre mentalité juvénile et ouverte de la fin des années 60. La voix d'une jeune femme à la croisée des chemins personnifiée par Renée Martel, jeune vedette du country/western et d'une variété pop naissante dans le sillage des Beatles. "Je vais à Londres, je m'en vais faire du cinéma. Je vais à Londres, je n'ai qu'un regret: qu'il soit loin de moi...Ah!"

Céline Dion: "Vole". Ballade toute simple du Français Jean-Jacques Goldmann qui met en valeur les nuances et l'intensité du chant de notre diva pop nationale et internationale. Céline peut chanter plusieurs répertoires: cependant les ballades de tout acabit prennent la plus grande place dans ses choix d'interprète.

3.2: Synthèse de la danse pop

Tout un bagage où se fondent différentes traditions populaires de danse dans une concentration esthétique qui vient du rock.

Diane Dufresne: "Strip-tease". Une musique funk latine qui dialogue avec un chant théâtral dans l'esprit extrémiste du rock'n'roll.

"La dernière enfance". Une belle chanson en forme de comptine sur le vieillissement, synthétisée dans des arrangements de rock électronique, presque disco.

Diane Tell: "Paradis d'espace". Une recherche d'espaces vastes et harmonieux dans le texte et dans la musique. Un arrangement inspiré par le funk et le jazz mais concentré par un choix d'instruments rock: guitare, basse et claviers électroniques.

Louise Portal: "Les conspirateurs (de l'an 2000)". Texte de Louise Portal, musique de Jean-Pierre Bonin, arrangement du rockeur Walter Rossi. Un rythme de marche doublé d'un contrepoint peu orthodoxe et éloquent.

Toulouse: "Québécoises": un "remake" de la fameuse chanson "Québécois, nous sommes Québécois" du groupe des années 60 La Révolution Française (ex-Sinners). Des rythmes franchement disco et de riches harmonies vocales caractérisaient ce trio féminin des années 70 mené par Judi Richards.

Nanette Workman: "Lady Marmelade". Pièce contagieuse mi-latine, mi-rythm'n'blues, composée par le groupe d'Afro-Américaines LaBelle et adaptée en français exprès pour Nanette.

Claude de Chevigny: "La nuit sera longue". Une longue pièce sensuelle inspirée du blues, du jazz latin, du funk, mais rigoureusement écrite autour de trois accords comme beaucoup de pièces populaires depuis l'avènement du rock.

3.3: Synthèse des chansonnières pop

Différentes prises de parole des femmes dans un contexte culturel et musical métissé. La diversité des paroles et des musiques de ce champ s'est soumise à certaines exigences de la culture pop pour être mieux entendue. Beaucoup d'importance est accordée à l'articulation mélodique et rythmique entre la voix et les textes. Des préoccupations personnelles, sociales et même politiques se fondent dans le discours et les choix musicaux. Beaucoup de ces artistes ont une présence originale en tant qu'auteures-compositeures et en tant que femmes relativement autonomes dans l'industrie de la musique.

Clémence DesRochers: "La vie d'factrie". "Moi c'est le sport". "Le monde aime mieux Mireille Mathieu". Quelques-unes des nombreuses facettes de Clémence auteure et comédienne. Ses collaborations avec de fidèles et compétents musiciens-compositeurs, comme Marc et Denis Larochelle, couvrent toute la gamme des genres populaires (valse, complainte, marche, reel, etc.) dans un mode parodique ou bien lyrique, toujours accessible.

Pauline Julien: "L'âme à la tendresse". "Eille!". "J'pensais jamais". Trois chansons aux formes aussi différentes que leurs climats: l'élégie, l'hymne martial et la bossa nova. Les textes écrits ou co-écrits par Pauline Julien sont mis en musique avec une fluidité qui célèbre toutes les nuances de la parole. Des chansons faites pour l'écoute attentive, d'autant plus que Pauline elle-même est une grande interprète qui sait articuler ces textes comme bien d'autres textes de nos poètes.

Suzanne Jacob: "As-tu changé?". Une belle chanson composite où le désespoir se distille doucement dans une sorte de complainte et chute brutalement dans un climat s'apparentant aux mises en scène du rock progressif. Sur l'album Une humaine ambulante.

Ginette Bellavance: "Tango du peintre". Un tango plein de relief où se découpe la voix dans une belle progression dramatique. Bellavance, auteure-compositeure-interprète à la formation musicale pointue (en musique classique contemporaine) se rend accessible par un album complet de chansons sur le thème du cirque.

Diane Dufresne: "Le ciel connaît la musique". Le texte de Diane Dufresne et la musique de Marie Bernard évoquent dans cette chanson une dualité: tantôt le rock qui signifie la souffrance, tantôt le cantique (richement soutenu par un choeur) qui signifie l'apaisement et la contemplation. Sur l'album Détournement majeur.

Louise Forestier: "Le cantic du Titanic". Une complainte, un cantique, un blues? Tout cela à la fois pour tisser une excellente chanson de Forestier, auteure-interprète à part entière avec la complicité du musicien Jacques Perron.

"La bombe". Une chanson très personnelle traitant de l'amour ambigü entre mère et fils et tirée de l'album auto-produit De bouche à oreille. Une véritable peinture aux plages subtiles et efficaces de rock, de ballade mélancolique et de danse dans le goût nord-africain.

Marjo: "Celle qui va". Une revendication en forme de rock mélodique sur des mots lapidaires de Gilbert Langevin.

"Je sais, je sais". Un joli rythme de danse presque antillais pour un texte-bilan émotif où la voix de Marjo se fait langoureuse.

Marie-Claire Séguin: "Dormir". Une saynète musicale de facture classique en deux mouvements amples: l'un très lyrique et chanté, l'autre dramatique et récité, le tout mettant en relation la chanteuse, le pianiste et la violoncelliste. Composée par M.-C. Séguin sur les mots tragiques de la poète palestinienne Abla Faroud.

"Mater Maria". Une chanson féministe composite. Structurée à partir d'un cantique-pastiche de l'Ave Maria, d'évocations des chants amérindiens (en voix et percussions) et d'une sorte d'hymne qui rappelle les chants de procession.

Judi Richards: "Touche pas" et "Prière". Ces deux chansons assez remarquables portent une parole claire et signifiante à l'intérieur de structures musicales comme le country et la "soul music" qui supportent mal le français d'habitude. Judi Richards est une auteure attachante et une chanteuse ferrée dans l'art de l'harmonie et du contrepoint.

Diane Tell: "Si j'étais un homme" et "Souvent, longtemps, énormément". Des expérimentations jazz à l'amalgame pop sophistiqué, le parcours de Diane Tell étonne encore, de même que ses mélodies et sa voix flottant entre deux eaux. Sa ballade "Si j'étais un homme" était le chant de ralliement du romantisme de cette génération de femmes qui avaient vingt ans en 1980.

Sylvie Tremblay: "Simple pathétik". "Je roule et je rêve". "Je voudrais voir la mer". "Les talons hauts". Des arcs-en-ciel bizzares défiant les lois du marché musical: voilà ce que nous offrent les chansons écrites ou co-écrites par la versatile Sylvie Tremblay. Rock mâtiné d'orientalismes, ballades parcourues de petits arias classiques, de rythmes irlandais ou gitans, etc. Tout est propice à explorer et à mettre en valeur une voix et des textes substantiels en émotions, questions, réflexions et fantasmes.

Geneviève Paris: "Le bateau dans la bouteille" et le blues "Quitte-moi". Ces deux pièces soulignent la finesse de l'écriture guitaristique de l'auteure-compositeure-interprète. Sa façon de chanter ses textes à un rythme complètement excentrique la rapproche d'artistes comme Joni Mitchell, dont elle chantait d'ailleurs les chansons à l'adolescence.

Lynda Lemay: "Madame Brigitte Bélanger". "L'oeil magique". "On m'a fait la haine". Un swing, un country cajun, et enfin une poignante ballade d'inspiration latine où se greffent sans effort les textes simples, mais suggestifs, et la voix limpide de l'auteure-compositeure.

Marie-Jo Thério: "À Moncton". Une ballade-blues écrite avec beaucoup d'habileté en "chiac", langue populaire des Acadiens du Nouveau-Brunswick.

"Devin". Une danse amoureuse entre le rock et le country d'inspiration cajun. Une liberté et une virtuosité peu communes dans l'utilisation expressive du langage - en français et en anglais.

"J'ai oublié!". Une chanson-pirouette influencée par les improvisations du jazz. Livrée en spectacle par cette jeune artiste au style imprévisible qui sait détourner les trous de mémoire à son avantage.

3.4: Synthèse du pop rock

Cette tendance domine chez nos auteurs-compositeurs-interprètes qui se sont adaptés peu à peu à la conjoncture des années 1980-1990: concision du propos musical et sonorisation recherchée. Les nouvelles industries du disque et des médias québécois cherchent de plus en plus de débouchés internationaux, ce qui motive cette sorte de "middle of the road" où s'échouent toutes les tendances musicales. Ce tableau peut s'éclairer d'une vision plus large où pointe une réelle originalité. Voici quelques-unes des meilleures voix (voies).

Jim Corcoran: "En chair et en os". "C'est pour ça que je t'aime". "On s'est presque touchés". Des chansons fortes en caractère et en intelligence quelles que soient leurs racines (tendre ballade, danses funky-jazzy, rythm'n'blues) grâce à l'incomparable jeu verbal de l'artiste et à une production musicale aiguisée.

Daniel Bélanger: "Opium" et "Les temps fous": deux pièces exemplaires. Un très beau mariage d'éléments musicaux et de thèmes chers au rock et au folk des années 60 et 70, le tout enrobé d'un certain climat fin-de-siècle et enregistré selon les critères polissant la production sonore aujourd'hui. Du narcissisme intelligent et pas gratuit...

Coma: "Carmen" et "Vide vie": les deux meilleures pièces du premier disque de ce duo pop-rock influencé par les tendances "psychédéliques" des années 70 et par le "world beat" des années 80. Le guitariste et auteur-compositeur Nicolas Maranda a commis des disques sous son propre nom; la chanteuse et auteure-compositeure Pascale Coulombe fait preuve d'une palette musicale et vocale assez large (écoutez la parodie funk-rock de l'aria "L'amour est enfant de bohème" tiré bien sûr de "Carmen"!)

Marie-Denise Pelletier: "En courant", "Tous les cris les S.O.S." (chanson de Daniel Balavoine), "Pourquoi chanter?" (chanson de Granger-Perron) ... Ces trois pièces représentent les différentes expériences de l'auteure-compositeure-interprète face à l'industrie de la musique. De sa période "new wave rock" jusqu'à son arrangement excitant (gospel et reggae) de la solennelle "Pourquoi chanter?", Marie-Denise Pelletier a toujours fait preuve d'une belle rigueur d'écriture mélodique et d'une imagination qui infiltre les conventions des variétés auxquelles elle touche. C'est aussi une chanteuse de formation classique.

Maurane: "Pygmalionne" (pour Louise Forestier) et bien d'autres dont "Différente", "Pas gaie la pagaille" et "Danser". Pourquoi Maurane? Cette chaleureuse auteure-compositeure-interprète belge fait partie de notre famille musicale par sa collaboration intensive avec plusieurs de nos artistes: Daniel Lavoie, Louise Forestier, Luc Plamondon dans le cadre de Starmania, etc. Maurane a offert à Forestier le délicieux texte de la ballade "Pygmalionne" pour l'album De bouche à oreille. L'écriture musicale de Maurane est un savant mélange de ses affinités latines, africaines, afro-américaines (surtout le Jazz!) et de son sens aigu de la mélodie pop.

Hart Rouge (ex-Folle Avoine): une vraie famille de musicien-ne-s francophones de la Saskatchewan qui nous a aussi donné Carmen Campagne, idole des tout-petits. Leurs chansons "C'est elle", "Tout te pardonner" et "La fabrique" sont de bons exemples de fusion des tendances du "folk song" et de la concentration pop franco-américaine. Cela par le choix des instruments, le travail d'harmonisation vocale et la production sonore.

Daniel Lavoie: "Boule qui roule". "La danse du smatte". "Tension attention". "Ils s'aiment". Je ne connais pas beaucoup d'artistes francophones qui produisent des chansons d'inspiration et de facture aussi différentes sans compromettre une sensibilité fondamentale. Daniel Lavoie est un de ces privilégiés qui y parviennent: question de déracinement peut-être? Autre question: est-il le nouveau troubadour qui succède à Ferland?

Luc de Larochellière: "Amère America". "Sauvez mon âme". "Kunidé". Plus besoin de présenter ce vigoureux auteur-compositeur-interprète qui, comme tous les gens de sa génération, s'est formé l'oreille et le cerveau à une grande variété d'idiomes musicaux. Il les utilise tous au bénéfice de sa vision critique, hypersensible et humoristique de nos rapports sociaux et de nos angoisses existentielles.

Laurence Jalbert: "Tomber", "Rage", "Au nom de la raison", "Encore et encore": quatre chansons de la Gaspésienne Laurence Jalbert devenues des classiques instantanés. Cette créatrice solide a profité d'une longue expérience de scène dans les bars "rock'n'roll": elle est arrivée au bon moment pour présenter des chansons dramatiques construites autant dans la veine du folk acoustique que dans celle du rock. Une production léchée dans le style de la maison Audiogram et le tour est joué! La personnalité de Laurence Jalbert et ses chansons portent une double image de jeunesse et de maturité qui rejoint bien des femmes dans leur représentation d'elles-mêmes.

Richard Séguin: "Double vie", "La raffinerie", "Protest song", "Par-delà l'océan", "L'ange vagabond", "Le blues de la rue" et beaucoup d'autres. Richard Séguin est l'artiste québécois qui symbolise à la perfection l'adaptation de toute la veine musicale folk aux tendances qui portent le "world beat" et la pop francophone internationale. Cette adaptation n'est pas toujours malheureuse: bien au contraire. Plusieurs efforts de Séguin se sont soldés non seulement par de grands succès populaires, mais aussi par un renforcement de ses qualités et de ses motivations d'auteur-compositeur.

Par exemple, l'artiste exploite à fond l'ampleur de sa voix qui porte les textes à l'intérieur de mélodies minimales et linéaires. Ces mélodies sont relevées par une construction harmonique sans failles, présente dans les différentes partitions musicales et accentuée par une sonorisation elle aussi sans failles. Richard Séguin se permet d'aborder sous cette forme - et avec force - tous les sujets et toutes les causes qui l'interpellent, du poète Jack Kérouac à son propre père blessé au travail, de l'analphabétisme aux jeunes itinérants.

Cependant, les deux plus récents disques de Richard Séguin laissent entrevoir une nouvelle étape où l'artiste donne plus libre cours à l'inspiration folk de ses débuts. Son travail en tant que producteur et réalisateur pour d'autres artistes (sous l'étiquette Musi-Art) lui permet d'expérimenter plusieurs valeurs auxquelles il croit en oubliant les impératifs du "pop rock héroïque". Albums auxquels Séguin a contribué: La rose des sables de Jean-François Lamothe et Murmures d'Histoire de Claire Pelletier.


Message de clôture

Toute étude du genre "tableau" laisse des gens dans l'ombre - faute de temps pour en parler plus à l'aise. En voici quelques-uns et non les moindres: Pierre Flynn, Térez Montcalm, Sylvain Lelièvre, Sylvie Bernard, Jacqueline Lemay, Édith Butler, Jean Custeau, Micheline Goulet, Pauline Michel, Marie Savard, Les Folles Alliées, Michel Lemieux, Martine Michaud, Anne Létourneau, Claire Vézina, Boule Noire, Tex Lecor, Jacques Michel, Georges Dor, Monique Leyrac, Catherine Karnas, Francine Raymond, Le Jazz Libre du Québec, Les Alexandrins, Les Sinners, L'Infonie, Sylvie Legault, Montréal Transport Limité et j'en passe. Je vous invite à les écouter - sur disque, sur cassette, sur bande vidéo ou en spectacle - et à chercher leur position possible dans ce tableau typologique de la chanson québécoise. À bon entendeur-e, salut!!!


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